Dans les rues animées de Maroua, où le soleil de l’Extrême Nord du Cameroun réchauffe chaque pierre et chaque âme, un homme a su transformer la honte en fierté, la dérision en admiration. Mohamadou Nourou, artisan sculpteur et visionnaire, a fait du recyclage une œuvre d’art et une voie de rédemption sociale. Cette histoire, c’est celle d’un combat, d’une détermination à toute épreuve, et d’un talent qui éclaire aujourd’hui bien au-delà des frontières du Cameroun.
Un départ dans l'adversité
Né en 1984 à Ngaoundéré dans l'Adamaoua, dans une famille modeste, Mohamadou Nourou n’a pas suivi le parcours classique rêvé par beaucoup. Après des études en menuiserie au lycée technique de Maroua, il obtient un CAP, puis poursuit jusqu'en première au lycée technique de Bertoua. Mais les écueils financiers le contraignent à abandonner les bancs de l’école pour la dure réalité de la vie active. Avec courage et créativité, il se tourne vers l’artisanat, un domaine qu’il transforme en terrain d’innovation.
C’est en 2006 que sa trajectoire prend un tournant décisif. Lors d’une rencontre fortuite avec un artisan sénégalais, Mohamadou découvre le potentiel insoupçonné des cornes de bœuf. Alors qu’elles étaient jusque-là considérées comme des déchets sans valeur, il imagine comment cette matière peut devenir à la fois utile et artistique. Sa première création, une table en corne de bœuf, se vend à 70 000 FCFA, une somme significative qui lui ouvre les portes d’un nouvel horizon.
Le processus de création : de l’ordure au bijou
Chaque jour, à l’aube, Mohamadou se rend dans l’un des trois abattoirs de Maroua, une ville où plus de 150 bœufs sont abattus quotidiennement. Sur place, il trie minutieusement les cornes, paye pour sa matière première et transporte ses trouvailles dans des sacs souvent malodorants. Les moqueries fusent, les moto-taxis refusent de le transporter, mais rien ne l’ébranle. Il sait que ces « déchets », une fois travaillés, deviendront des objets uniques.
Le processus est rigoureux : triage, extraction du cornion (la substance osseuse à l’intérieur de la corne), lavage à l’eau javellisée et au détergent, puis transformation. Avec ses outils de menuiserie et ses machines électriques – scie sauteuse, meule, chignole – il façonne les cornes pour créer des tables, des fauteuils, des bijoux, et bien plus encore. Chaque pièce, qu’elle soit utilitaire ou décorative, est le résultat d’un travail d’orfèvre. Par exemple, une chaise exige huit cornes parfaitement assorties, habillées de cuir et de mousse selon les commandes.
La récompense de l’audace
Malgré des débuts marqués par la honte et les railleries, Mohamadou Nourou a su gagner le respect de sa communauté. Sa première exposition au Festival National des Arts et de la Culture (FENAC) en 2008 est un succès, tout comme sa participation au Salon International de l'Artisanat du Cameroun (SIARC) en 2009, où il expose à Yaoundé, la capitale. Lors de la troisième édition du SIARC en 2012, il remporte le premier prix pour le recyclage des déchets, confirmant son statut de pionnier dans ce domaine.
Son parcours l’a mené au-delà des frontières nationales, avec des participations au Salon International de l'Artisanat de Ouagadougou (SIAO) en 2017 et une invitation remarquée à Casablanca, au Maroc, pour une démonstration en direct de son savoir-faire, par un particulier. À chaque étape, Mohamadou redéfinit l’image du recyclage, en faisant une véritable discipline artistique et une source de fierté.
Un modèle pour les jeunes et l’avenir
« Moi-même, j'avais honte de moi au début, mais j'avais la détermination et l'envie de créer », confie-t-il avec une émotion palpable.
Aujourd’hui, cet homme autrefois traité de fou est devenu une figure inspirante. Son travail est respecté, et sa personne admirée. Il a redonné ses lettres de noblesse à une matière délaissée, prouvant que le talent et l’ingéniosité peuvent transformer la perception collective.
Mohamadou Nourou ne compte pas s’arrêter là. Il prépare actuellement un projet à Yaoundé pour initier d’autres personnes au recyclage, leur montrant que ce domaine est une véritable carrière à part entière. Avec un enthousiasme contagieux, il espère inspirer une génération à embrasser des métiers qui non seulement respectent l’environnement, mais également élèvent l’âme humaine.
La corne est plus qu’une matière pour lui ; elle est devenue un symbole de renaissance. Et dans les rues de Maroua, Ngaoundéré… et au delà, lorsqu’il marche aujourd’hui, ce n’est plus avec des sacs de cornes sous les moqueries, mais avec la tête haute, sous les regards admiratifs de ceux qu’il a su inspirer. Réalisé par iigraph 5 janvier 2025 grâce à un intermédiaire, Vakoté Yama Dieudonné, artiste, musicien et peintre Camerounais
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