TRADITION - MBAM ET KIM - CAMEROUN
Le calendrier Vouté commence avec le mois de Novembre. En un mot chez le Vútè, Novembre représente le premier Janvier du monde moderne. Ce mois appelé FÓ’Ó est la période dédiée à la communion avec Les Ancêtres, avec les défunts. Attention ! Cette rencontre avec Les Aïeux dans la forêt sacrée n’a pas lieu toutes les années, mais seulement pendant les années paires ( 2022 par exemple ) que le Vútè appelle DAING MADJÉNÉ, c’est à dire l'année des termites appelées MADJÉNÉ. Les années impaires étant simplement consacrées à maintenir de la propreté dans et autour des lieux sacrés. Le DAING MADJÉNÉ est considéré comme une année de très grande chance, de bonheur et de bénédiction dans la vie du peuple Vouté, c’est pour cela qu’il arrive que les érudits (notables) fassent coïncider l'intronisation initiatique et traditionnelle du nouveau Chef Vútè avec le DAING MADJÉNÉ.
Les termites, notamment le MADJÉNÉ jouent un rôle très important dans la culture Vouté. On les répand souvent partout sur les tombes lors du FÓ’Ó en guise de RENAISSANCE.
Le rituel du FÓ’Ó se déroule en deux phases : le nettoyage des tombes et des caveaux de
tout le village, puis la cérémonie proprement dite. Il faut rappeler que la société Vouté était
organisée de sorte que chaque village possédait trois cimetières : celui des Princes (GUEUM, mais du fait de sa sacralité, le mot NYAB DJIRI lui est préféré. Seul les Chefs et Princes y sont inhumés), celui des grands notables et le cimetière commun.
Vers la mi-Novembre, le jour fixé pour le nettoyage, avant le lever du soleil et à jeun, tout le
village, au son du clocher (MESSENGUEP ou KORONG) se rend sur les lieux, Le Roi conduisant la troupe. Une fois sur place, Le Roi sait précisément quelles phrases prononcer et tout de suite, on se met au travail. Les hommes munis de machettes, défrichent tandis que les femmes sarclent et entassent les mauvaises herbes qui seront débarrassées par les enfants. On commence par rendre propre la tombe des Ancêtres Créateurs par ordre chronologique, puis on nettoie toutes les tombes de tous les cimetières du village. Pendant toute la durée des travaux le clocher (KORONG) ne cesse de sonner.
À la fin, quand toute est propre, on partage de la boisson (MGBAH spécial et sucré) aux travailleurs et chacun rentre chez soi se laver et vaquer à ses occupations.
Le jour du rituel du FÓ’Ó proprement dit, les feux sont éteints dans toutes les cuisines du
village. Aux premières heures de la journée qui est généralement un Samedi (YE DEMIRI),
toujours à jeun et au son des tambours (DJING DJÉNÉ) et du clocher (KORONG), tout le
village de dirige en colonne et regroupé par clans vers le lieu sacré (NYAB DJIRI). Chacun est tenu de se munir de son/ses outils de travail : les chasseurs de leurs fusils de chasse ou
câbles à pièges, les machettes et houes pour les cultivateurs, du fil de pêche pour les
pêcheurs, les stylos, crayons, cartables, cahiers, livres...etc. pour les écoliers.
Les étrangers ainsi que les villageois ordinaires s'arrêtent sous un premier fromager presqu’à mi-parcours du chemin qui mène au NYAB DJIRI. La famille dirigeante, elle se limite au niveau d’un second fromager, planté à l’entrée du NYAB DJIRI. Seuls Le Roi, ses notables et sa famille rapprochée arrivent jusqu'aux tombes des Fondateurs du village pour y achever le reste des rites.
Par la suite, Le Maître des cérémonies, un Initié à la moralité incontestable par ailleurs
Notable, procède à la préparation du MOUM. Il s’agit d’un mélange de farine de maïs, d’un
peu d’eau et de quelques autres ingrédients que l’on pétrit à la main en formulant des vœux
de bénédictions et des prières à l’adresse des Ancêtres et de Leur Dieu. On implore la
sagesse Divine incarnée par celle des Ancêtres pour la résolution des fléaux qui minent le
village, puis on l’asperge sur les instruments et outils des participants (fusils, machettes,
houes, cartables,…etc.). Cette étape constitue la phase culminante de la cérémonie. Aussi,
est-il recommandé d’user de tous les moyens et méthodes pour sortir de cette messe avec
au moins une goutte de MOUM béni sur soi ou sur son outil de travail.
Du pain (repas spécial et léger que l’on fait lécher ou mieux goutter dans des feuilles de jonc fraiches) et du vin (MGBAH spécial et sucré) sont distribués d’abord au Chef, puis à son entourage et ensuite au reste des participants. À la fin de cette grande messe, chacun
recueille un peu de feu de la chaumière du NYAB DJIRI pour aller l’allumer chez soi. Le retour au village est marqué par un impressionnant festin et des réjouissances qui vont durer jusqu’à l’aube : c’est LA RENAISSANCE.
Les occasions pour se rendre sur les lieux sacrés ne se présentent pas que lors du FO’O. Si un événement important ou une situation déterminante impliquant la vie de la communauté entière survient, Le Chef et Son Conseil de Notables ont le droit d’aller s'adresser aux Ancêtres. C’est ainsi que par exemple, lorsqu’à la fin du mois de Décembre, le froid devenait
insupportable, Le Chef de Yoko se rendait en ce lieu sacré et s'adressait aux Ancêtres. Dans la soirée on y mettait du feu et dès la matinée du lendemain, il n'y avait plus de froid
jusqu’au retour de la prochaine saison.
Il faut retenir qu’il n'y a pas d'improvisation quand il faut se rendre au NYAB DJIRI. On y va très tôt le matin, en colonne aux sons du DJING DJÉNÉ et du KORONG. Mais surtout on ne mange pas, ni n’entretient des rapports sexuels avec une femme même sa propre femme.
De plus en plus on assiste à de nombreux dysfonctionnements et incohérences dans l'organisation de cette rencontre avec les Ancêtres que l’on peut justifier par le « DENWA », c'est à dire l'ignorance. Inévitablement la sanction Divine et Ancestrale est sans appel : décrépitude, déperdition, affolement, catastrophes naturelles, des générations sans diplômes, sans emploi, des terres arrachées, la famine, l’esclavage, des guerres,…Etc.
Une chose est vraie, nos Ancêtres sont vivants et bien vivants au point qu’ils savent se faire entendre par leurs méthodes. Lorsque vous voudriez construire une maison au village sur une hauteur, Les Notables vous imposeront de choisir un site du côté de l'Est. La raison en est toute simple : le soleil se lève à l'Est et se couche à l'Ouest. Le coucher symbolise la mort, le repos. Nos Ancêtres Fondateurs reposent toujours du côté Ouest de nos villages. Et ce n’est guère un hasard si les lieux de culte (églises, mosquées, …etc.) sont généralement construits du côté de l’Est, symbolisant pour leurs adeptes le lever du soleil, l’espoir, LA RENAISSANCE.
Interview, Hervé MBAKONG LOUK. Caméra, Martin Magloire NJOYA, Emmanuel AWONO LOUK. Article de Sa Majesté Félix MELEM et Benjamin TANGA LOUK
COMPLÉMENT :
1. Le grand peuple Vúté n'avait pas qu’une organisation politico-militaire exemplaire axée principalement autour de ses chefferies. Il avait également une maitrise des notions de l’espace et du temps qui régissaient ses activités guerrières et socio-économiques.
2. Dans la culture Vouté, on distingue plusieurs âges dans la vie de l'Homme. De sa naissance jusqu'à sa mort, l’Homme passait de NANA à MOUTI, à FENDONG, à DUBER, à KIDJIRI et enfin à NO NGOUNDJI. Rien ne peut être caché à un NO NGOUNDJI car son âge et son expérience le couronnent de sagesse. Ce sont des vieillards qui ne s’énervent jamais et recherchent perpétuellement la conciliation. De nos jours cette catégorie de personne peut se recruter à partir de 75 ans.
3. Il y a des choses qu’un Chef Traditionnel Vútè peut dire ou écrire publiquement, d’autres qu’il ne peut que confier en tête-à-tête et d’autres qu’il n’est pas autorisé à dire du tout…
Sources / References :
- Ma Tendre Maman, source de mon inspiration, partie le 13 Février 2009.
- Causeries avec Sa Majesté Félix MELEM.
- Causeries avec Mes Parents et Grands Parents (Sa Majesté Djibril SANGOUING WOURI, Sa Majesté Moise YANGOU, Jean-Claude WOURI, Oumarou LOUK, Martin NYOYA, François TIMENE, Issa NDJIBE).
- Support vidéo, Issa NDJIBE, Grand Notable du Village YANGBA, 105 ans.
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