LITTÉRATURE - CAMEROUN
C’est un monument de la culture Vuté, l’écriture s’est imposée à lui alors qu’il n’était qu’un jeune collégien. Depuis plus de trente ans, il a œuvré pour la valorisation de notre patrimoine culturel à travers son journal « DJENE TUN » qui paraissait dans les années 90. .Tout ceci dans l’atmosphère singulière d’une petite ville pittoresque qu’est Yoko, c’est dans une ambiance chaleureuse qu’ii-média l’a rencontré et au cours d’un entretien très fructueux. Il nous a dévoilé sa grande stature d’homme de culture.
Bonjour Kidjiri ! Est-il facile de parler de vous en quelques mots ? votre CV est volumineux pour ceux qui vous connaissent bien. Mais nous allons quand même jouer à ce jeu et vous priez de vous limiter à l’essentiel. Très cher Yakoura pouvez-vous vous présenter à ceux qui ne vous connaitraient pas encore ?
Je suis YAKOURA Valentin, communément appelé St Yaval, qui est en réalité l’abréviation des deux premières lettres de mes deux noms : « Ya » pour Yakoura et « Val » pour Valentin. Ça donne donc St Yaval. Je suis un Vútè du village NDIM dans l’Arrondissement de Yoko. Handicapé moteur, j’ai longtemps travaillé au Centre de Littérature Vútè de Yoko comme, coordonnateur d’alphabétisation. Je continue la bataille pour la pérennité de la langue Vútè. Actuellement je travaille avec l’Association pour la Sauvegarde du Patrimoine Culturel Vútè et Assimilé (ASPACVA) qui œuvre également dans le même sens. Je mets un accent particulier sur les volets « écriture » et « lecture ». Ha Ha Ha !!! J’avoue qu’il n’est pas facile de parler de soi-même hein !
Vous êtes parmi les élites Vútès les plus connus, je dirai même une référence, qui a beaucoup travaillé pour son essor, quel bilan pouvez-vous faire aujourd’hui ?
Une référence pour la communauté Vútè ?! Je suis vraiment flatté de l’apprendre de vous. Il y a des personnes plus aguerries que moi, plus âgées, plus instruites et plus « Voutologue » que moi ! Mais bon ! Si vous affirmez que je suis une référence, cela signifie qu’il y a une part de vérité dedans, j’en suis très flatté.
Je reconnais humblement qu’à travers mes écrits et les cours de langue Vútè que je dispense, j’apporte ma modeste contribution au développement culturel de la Communauté Vútè. Et pense que c’est ce qui me vaut de votre part la considération de référence. J’avoue que des frères d’horizons divers ont l’habitude de me contacter à propos des questions techniques sur la langue Vútè et qu’en général ils sont toujours satisfaits de mes propositions. Par ailleurs si je me fie aux interventions et réactions positives des uns et des autres sur les pages que j’anime dans les réseaux sociaux, je dirais que tout cela serait à l’origine du terme « référence » auquel vous faites allusion.
Vous vouez un culte à la langue Vútè et votre amour pour la communauté Vútè n’est plus à démontrer. Quel bénéfice avez-vous tiré et qu’est-ce qui vous anime dans la diffusion de cette culture ?
L’amour que j’ai pour ma langue est tellement grand que je ne saurais l’expliquer ici. Vraiment j’aime tellement cette belle langue. Quand vous l’écrivez ou la lisez, vous ressentez sa structure, la belle structure de cette langue. Une langue riche de par la variété de sa syntaxe, au niveau de … Bon ! Je ne sais pas quoi dire de plus. Vous savez quand nous grandissions, certains livres d’histoire prédisaient la disparition de la langue Vútè. Lorsque nous regardons tout ce qui se passe autour de nous de nos jours, cette assertion a tendance à se vérifier. J’estime que c’est une chance, mieux une mission à moi confiée par Dieu d’être parmi ceux-là qui œuvrent ou qui doivent œuvrer pour que cette belle langue ne disparaisse pas. Un proverbe antique Latin dit « verba volant, scripta manent », c’est-à-dire : « les paroles s’envolent mais les écrits restent ». Si nous continuons seulement à parler la langue Vútè sans jamais l’écrire, elle disparaitra. Mais si nous l’écrivons, elle survivra éternellement.
Les précurseurs de l’écriture du Vútè, les premiers linguistes Vútè se recrutaient dans la génération qui a précédé la mienne : Nicolas MVOUTSI, Apollinaire DJOMNA, Alphonse NIGOUR, Martin YÀH-YÀH, Jacques GANÉ et bien d’autres que j’oublie malheureusement. Alfred OUMAROU, Martin FOUÉ, Alexis NIMWI et d’autres encore en vie continuent d’œuvrer pour faire vivre et faire rayonner cette magnifique langue vive. Je me sens honoré de faire partie de ces gens-là.
Malheureusement tout le travail que nous avons abattu au centre de littérature Vútè qui était subventionné par des étrangers est quasiment tombé en berne par manque de financement, les subventions étrangères ayant été suspendues. Pourtant, comme mes pairs « Voutologues », je pense être encore capable de partager davantage de connaissances linguistiques au peuple Vútè. C’est cela l’essence de ma motivation que vous avez mentionnée plus haut. Cet amour vient du fait que, j’ai quelque chose de grand et de beau que je peux partager avec le peuple Vútè : la connaissance de cette langue. Mon souhait le plus cher est que tous les Vútè de Voutchaba à Yangba en passant par Ngoro, de Banyo à Ndim en passant par Tibati, Mangaï, Njoré, Nio-Babouté, …etc, puissent lire et écrire le Vútè et surtout la parler tel que nos parents le faisaient. Ceci nous permettra de conserver toute la vaste richesse de notre culture. En l’occurrence sur les plans de la médecine, de la biologie animale et végétale, et même de la spiritualité.
Si nous écrivons notre langue nous pouvons plus aisément transmettre, nos connaissances médicinales par exemple. Pourtant si nous optons pour la transcription littérale en Français ou en Anglais, le risque de perte de précision s’avère très élevé.
Pour me résumer, j’aime ma langue et je me dis que Dieu m’a donné une connaissance que j’aimerai partager avec mes frères et avec la communauté entière. J’exhorte les uns et les autres à s’impliquer dans l’apprentissage de la langue Vútè. Pour l’instant je sais que c’est difficile, il faudrait que tout un chacun mette la main à la pâte pour qu’au niveau local au niveau cellulaire on puisse au moins la parler. Et ceux qui le peuvent qu’ils viennent à l’école, à l’Université Virtuelle du Vùté (UVV), ou en présentiel, afin que demain eux aussi deviennent des formateurs, des enseignants du Vútè. Je ne vais vivre toute l’éternité, je veux des remplaçants ! De nouveaux écrivains, professeurs, recteurs du Vútè !
J’encourage et je remercie tous ceux qui me lisent et me suivent dans les réseaux sociaux. Cela montre l’intérêt que vous portez à l’apprentissage de la langue Vútè et à ce que j’accomplis. Je galvanisé lorsque que je constate que des frères me lisent, je les encourage à continuer et à diffuser cette attitude positive autour d’eux.
Bientôt des cours de langue avec ASPACVA. Pouvons-nous savoir ce qui sera véhiculé ?
Vous savez pour réaliser une œuvre pareille il faut l’adhésion et l’apport de tout le monde et pour enseigner il faut des outils adaptés. C’est pour cela que j’écris des livres, j’ai beaucoup de manuscrits qui ne demandent qu’à être publiés. Je demande à toutes les âmes de bonne volonté de nous soutenir financièrement et matériellement. Nous avons par exemple ce livre de lecture qui est primordiale pour l’apprentissage de la langue Vútè. Le stock que nous avions au centre de Littérature Vútè est épuisé. Je l’ai réécrit, reste donc à chacun de mettre la main à la patte pour l’imprimer. La communauté Vútè toute entière, particulièrement la communauté catholique Vútè n’a plus de repère. Dans tout ce qu’il y a comme documentation, nous ne trouvons pas de livret de prière en Vútè pour les célébrations sans prêtre, pas de livret de chants, bref les stocks produits par les premiers missionnaires sont épuisés.
Mon challenge tant que je vis, tant je respire, est de réécrire de reconstituer le maximum de documentations Vútè possible. La postérité devra alors se donner des moyens pour les imprimer et les distribuer.
Je vous laisse conclure cet entretien ?
Actuellement le manuel pour l’apprentissage de la langue ainsi que le livret de chemin de croix sont prêts à être imprimés. À titre d’illustration s’agissant du livret de chemin de croix, le temps de carême approche, dans certains villages dépourvus de prêtres, certains fidèles récitent des célébrations dominicales sans aucun repère, « avec la tête » et simple routine. Lorsque ces derniers sont absents, pas de culte …
Je suis en train d’écrire un livret de célébration sans prêtre, ainsi qu’un livret de chants qui contiendra au moins une centaine de chansons. Tout cela demande des contributions financières de tous et de chacun. Je tends donc la main à toute la communauté Vútè.
Si vous estimez que ce que je fais est bien, alors aidez-moi à pouvoir imprimer ces livres s’il vous plait. Ils feront à coup sûr une fierté pour moi, pour mes enfants et petits-enfants de savoir que leur grand-père, leur père avait vécu et avait laissé quelque chose à la communauté. Merci !
C’est nous qui vous remercions Professeur.
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